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Les tubes, ces sites qui mettent à mal l’industrie du porno

  • Photo du rédacteur: LF
    LF
  • 13 déc. 2018
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 1 janv. 2019


Banalisée, mainstream, en ligne et ubérisée. Voici les nouveaux mots accolés à la pornographie cette dernière décennie. L’industrie du porno a subi de plein fouet la crise économique et l’arrivée des plateformes en ligne a bouleversé les pratiques du secteur. Les premières victimes sont les actrices qui voient leur salaire raboté et leurs conditions de travail nettement amoindries.

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En 1896 sortait le premier film à caractère pornographique de l’histoire du cinéma. Réalisé par Albert Kirchner, alias Léar, Le Coucher de la mariée est également le premier striptease sur écran. L’actrice principale, Louise Willy, se déshabille lentement devant le lit nuptial. De l’autre côté du paravent, son mari ne tient pas en place : il s’éponge le front.


Un film presque romantique au regard des vidéos pornos d'aujourd'hui. Et pour cause, plus de 120 ans ont passé depuis cette première production. Les millions de paires d’yeux ont vu défiler bon nombre d’évolutions. Ainsi, le 31 octobre 1975, les films pornos sont classés X en France et passent des salles grand public aux circuits spécialisés. Les années 1980 marquent l’arrivée de la cassette vidéo qui démocratise la pornographie à domicile. Une démocratisation accentuée avec le fameux film X mensuel diffusé sur Canal+ en crypté le premier samedi du mois. Enfin, l’avènement du haut débit internet dans les années 2000 permet de regarder très facilement des vidéos sur son ordinateur, ta tablette ou son smartphone avec la création de sites qui proposent des millions de scènes. C’est l’arrivée des « tubes » et de l’ubérisation du porno.


Le bouleversement du secteur par les « tubes »

Créés sur le modèle de YouTube, les sites comme YouPorn et Pornhub proposent gratuitement des millions de vidéos, mises en ligne par des amateurs ou par des professionnels. Leur apparition a non seulement élargi et facilité l’accès au porno, mais a surtout bouleversé le modèle économique du secteur. C’est ce que l’on appelle l’ubérisation de l’industrie pornographique.


Plus de 100 milliards de vidéos pornos sont visionnées dans le monde chaque année. Un chiffre qui donne le tournis et l’impression que les acteurs du secteur gagnent beaucoup d’argent. Pourtant, Ovidie, ancienne actrice pornographique et réalisatrice notamment du documentaire Pornocratie : les nouvelles multinationales du sexe, souligne :

« L’industrie du X est à l’agonie »

Le premier coup dur pour cette industrie a été asséné dans les années 1990. Budapest devient alors la capitale du porno en Europe. « Les lois sur le proxénétisme y sont moins sévères qu’en France. Des agences peuvent ainsi légalement mettre en relation des actrices avec des producteurs en échange d’une commission », explique le journaliste Robin D’Angelo. L’Est, ce véritable pays de Cocagne : « Tout est moins cher surtout : du maquillage aux décors en passant par le développeur web », détaille-t-il. Puis, en 2006, c’est l’arrivée des tubes ; l’occasion d’une nouvelle claque pour le secteur. Et, jamais deux sans trois, la fameuse crise financière de 2008 finira d’achever tout espoir de relance pour le secteur. Baignant dans ce climat d’austérité, les studios mettent la clé sous la porte. La moitié des maisons de production ferment. Interviewé par Ovidie lors du salon du porno de Berlin, Mario Salieri, réalisateur et producteur, constate que « le salon est devenu un moment pour rencontrer de vieux amis. Le business, maintenant, c’est fini ». Justement, un de ses amis, Vincent Gresser, producteur de Colmax, explique : « On a arrêté de faire du DVD en 2008. C’était assez tôt pour le marché, mais on sentait déjà que le prix du DVD devenait tellement bas que ça commençait à déprécier le produit. Dès ce moment-là, on s’est tourné à 100% vers la distribution digitale. Ça veut dire Internet, ça veut dire les plateformes de VOD, ça veut dire la télé, ça veut dire les mobiles, tous ces nouveaux modes de distributions. On est en concurrence avec des gens qui ont des plateformes de diffusion vidéo gratuite, sans payer de droit d’auteur, sans payer de licence. Donc on a cette très forte concurrence face à nous sur ce nouveau marché ».


Le développement de ces plateformes a grandement accentué le piratage, lequel représente aujourd’hui 95% de la consommation de vidéos pornos. Les studios classiques se sont faits « décimer au profit de trois ou quatre boîtes sans scrupules qui sont des organisations semi-mafieuses » déclare Gregory Dorcel, directeur général de Marc Dorcel, toujours au micro d’Ovidie. Leur but est de générer de l’audience et, ensuite, d’attirer l’œil sur des formules et contenus payants.

« Pas une de ces plateformes est hébergée en dehors d’un paradis fiscal. C’est comme ça qu’ils arrivent à faire des centaines de millions »

Les tubes profitent de montages financiers douteux et génèrent un business opaque où règne la loi du silence. Une grande partie des producteurs se retrouvent donc au bord du gouffre financier. Et, ont, ensuite, tendance à répercuter ces pressions et restrictions budgétaires sur les actrices.



Toujours moins cher, toujours plus hard

Comme partout ailleurs sur Internet, la guerre du clic est déclarée. Les tubes sont à l’affut de nouveaux consommateurs. Sur les sites X les plus connus, les scènes se suivent et se ressemblent. Une homogénéisation expliquée par David Courbet, journaliste et auteur de l’ouvrage Féminismes et pornographie, par la décentralisation de la production dans les pays de l’Est. Le travail des nouvelles filles de l’Est, également appelées « compteurs à gaz » dans le milieu du X, « a brisé le statut d’actrice. Elles ne vendent leurs prestations qu’au contenu de la scène, sans y ajouter une part personnelle d’improvisation, symbole de l’envie de bien faire et de plaire au public, et qui ne fait par là même que diminuer l’intensité sexuelle d’une scène. Ces actrices ressemblent à de simples « poupées gonflables » ». Résultat : la production X est devenue peu originale. David Courbet ajoute :

« On en a vu un, on en a vu cent »

Dans un tel contexte, comment se démarquer de la concurrence ? Première option : faire apparaître sans cesse de « nouveaux visages ». Pour donner l’impression d’une certaine originalité – illusoire, par ailleurs – et renouveler l’offre, « il faut des filles, toujours plus de filles, de la chair à canon aux yeux des financiers occupés uniquement à faire du clic et qui ne connaissait rien au métier », explique Ovidie lors d’un entretien au Nouvel Obs. Deuxième possibilité : aller toujours plus loin dans les pratiques « hards ». « Les producteurs dits « classiques » se sont tournés vers ce qu’on ne trouvait pas encore sur les tubes : des pratiques inhabituelles comme les « doubles » pénétrations, les « triples », ... » Avec, pour conséquence, une banalisation du sexe extrême.

Côté financier, pour garder la tête hors de l’eau, les producteurs ont largement raboté les salaires des actrices. En effet :

« Les cachets ont diminué de moitié en dix ans et le nombre de contrats décrochés a été divisé par deux car 70% de la production a disparu » (Ovidie)

Pour elles, le moyen de s’en sortir financièrement est d’accepter les actes extrêmes, les plus radicaux pouvant aller jusqu’à 2500 dollars par scène. Rashida Jones, une productrice du documentaire Hot Girls Wanted, explique ainsi le fait que les jeunes filles engrangées dans le porno acceptent des scènes de plus en plus hards. Propos confirmé par Jules Jordan, réalisateur et acteur dans le milieu du X, interviewé par le journaliste Robert Jensen : « L'une des caractéristiques du porno actuel et du marché extrême, le marché gonzo, est que de très nombreux fans veulent voir des choses plus extrêmes. J'essaie toujours de trouver des moyens de faire quelque chose de différent. Mais il semble que tout le monde veuille voir une fille faire une double pénétration maintenant ou un gangbang… Beaucoup de fans sont de plus en plus exigeants à l'idée de voir des trucs plus extrêmes. »


Sur les tournages, « les filles paraissent isolées. Elles arrivent, se préparent, se déshabillent, exécutent des figures relevant du sport de combat extrême, puis se barrent, le corps en lambeaux. Les bleus apparaissent les jours suivant », raconte Laureen Ortiz dans Porn Valley. Une saison dans l’industrie la plus décriée de Californie. La violence est, en effet, en recrudescence depuis plusieurs années lors des tournages. Adult Video News, un important magazine spécialisé dans le commerce de produits pornographiques aux États-Unis, a mené une étude en 2010. De cette analyse de 50 films pornographiques, il ressort que la majorité des scènes contenaient des violences physiques et verbales dirigées envers les actrices. Des agressions physiques, notamment des claques, des gifles et des haut-le-cœur, se sont produites dans 88% des scènes. Et des agressions verbales et insultes ont été retrouvées dans la moitié des scènes.


Le 20 décembre 2016, la pornstar de la firme Brazzers, Nikki Benz, raconte sur son profil Twitter qu'elle a été violée par l'un de ses partenaires complice du réalisateur. Elle écrit : « Quand je vous dis que je ne suis pas d'accord, vous devez me prendre au sérieux. Je ne devrais pas être violentée. »

Autre témoignage. Lisa Ann, ancienne du milieu, dénonçait, début 2016, la prolifération des comportements violents devant la caméra. D'après elle, les réalisateurs demandent aux jeunes filles débutant dans l'industrie de jouer systématiquement des scènes d'abus. Qu'elles soient prêtes ou non, qu'elles comprennent pleinement ce que cela implique ou pas.


Dans l’interview des Inrockuptibles, Ovidie soulève un autre enjeu, celui de la protection contre les maladies et infections sexuellement transmissibles : « Il y a dix ans, les actrices pouvaient encore exiger le port du préservatif et refuser certaines pratiques, aujourd’hui elles sont obligées d’enchaîner les tournages à Budapest dans des conditions horribles. Il est devenu normal pour une actrice de se prendre des gifles, d’être étranglée, de suffoquer, d’être dilatée. »



Sida, syphilis et autres joyeuseries

Le port du préservatif est une question d’ampleur dans le monde du porno. En 2013, Cameron Bay, actrice dans le milieu X, remet la question au centre du débat lorsqu’elle apprend et annonce sa séropositivité. Elle déclare alors au HuffingtonPost qu’aucun de ses partenaires sexuels masculins n'a jamais utilisé de préservatif sur les scènes. « J'ai appris qu'il y avait toujours quelqu'un de plus jeune et de plus sexy, prêt à faire ce que vous ne voulez pas faire. C'est un monde de requins », explique Bay Cameron. «Je pense que nous devrions, du coup, avoir plus le choix. Mettre un préservatif devrait être un choix. » A l’époque, sa déclaration mène à un moratoire dans l’industrie du porno américaine.

L’hygiène passe donc clairement au second plan. En 2012, le milieu du X doit faire face à une épidémie de syphilis. Un relâchement des précautions sanitaires a été observé ces dernières années, confirmé par le documentaire d’Ovidie : « Pour tourner, de plus en plus d’acteurs sont prêts à falsifier leurs tests sur les infestions sexuellement transmissibles. »

Toujours en 2012, alors que le comté de Los Angeles tente de légiférer sur le port obligatoire du préservatif dans les productions pornos, MindGeek (la multinationale possédant notamment YouPorn, PornHub et RedTube) dépense plus de 270 000 dollars illégalement pour une campagne visant à saboter le projet, peut-on apprendre dans Pornocratie. En effet, aux Etats-Unis, une entreprise étrangère n’a pas le droit d’interférer avec un scrutin local. MindGeek est alors condamné à une amende de 61 500 dollars.

En 2016, la multinationale récidive. Résultat : la proposition 60 n’est pas validée par les électeurs californiens. Preuves que cette entreprise en quasi-monopole tente d’influencer les réglementations qui l’obligeraient à prendre ses responsabilités sanitaires.


Ainsi, depuis une dizaine d’années, le porno est en pleine mutation. Les travailleuses et travailleurs en subissent les conséquences. Mais alors, où va l’argent ? Qui en profite ? Existe-t-il des alternatives ? Ces questions seront traitées dans de futurs articles.


Entre nous, je te le demande de but en blanc : regardes-tu de la pornographie ? Etais-tu au courant des conditions de travail dans le porno mainstream ?


Et, en attendant, voici quelques suggestions (que vous pouvez également retrouver dans l'onglet « Ressources » du blog).


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Arts plastiques

  • Sébastien Laurent. Le Déjeuner sur l'herbe, 2013, Photomontage, impression sur Dibond. Collection de José Hubert


Leila Fery


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